La Torah : Artisan des Mondes…

« ואהיה אצלו אמון »

« et j’étais (la Torah) à Son côté précepteur/Amon » (Michlei, Proverbes, 8,30)

Le Zohar (Paracha Chemini) nous enseigne : « Ne lis pas précepteur/Amon (אמון) mais artisan/Ouman (אומן) ».

La Qabalah nous enseigne qu’il existe plusieurs « alphabets hébraïques » ou différentes manières de permuter les lettres afin d’approcher les profondeurs cachées du Texte. Ces alphabets ne sont pas indépendants les uns des autres : ils s’imbriquent, s’interpénètrent, s’alimentent mutuellement, chacun révélant ce que l’autre garde en réserve.

Ils semblent même, pour ainsi dire, non seulement imbriqués mais aussi intriqués — au sens que la mécanique quantique donne à ce terme — comme si chacun était contenu dans l’autre ou se reflétait à travers l’autre. Lorsque nous prononçons les mots et les versets de la Torah, toutes ces permutations semblent pouvoir s’activer simultanément, sans le moindre décalage.

L’image qui suit est imparfaite, car elle décrit une propagation plutôt qu’une intrication, mais elle illustre malgré tout cette « activation » à grande échelle à partir d’un point unique : imaginons une corde de guitare infinie et tendue comme il se doit, qu’un simple contact en un point précis mettrait en vibration sur toute sa longueur, produisant des ondes que nous ne percevrions pas, mais qui existent bel et bien.

Une image plus fidèle au concept d’intrication est celle bien connue de la paire de gants dont chacun est emballé dans 1 boîte séparée : si l’on envoie le gant gauche à un endroit du globe et le gant droit à un autre, alors, au moment même où l’on ouvre une boîte et que l’on découvre, par exemple, le gant gauche, on sait instantanément que l’autre boîte contient le gant droit, et cela, quelle que soit la distance qui les sépare. Il n’y a donc pas de propagation tel que nous le concevons et tel que l’exprime l’image de la corde. C’est instantané.

Ces 2 exemples expriment de manière différente l’idée globale de notre propos.

Quoi qu’il en soit, l’alphabet classique est et reste notre porte d’entrée : le canal ordonné par lequel ces univers deviennent accessibles. C’est par lui que transitent les messages infinis, destinés à ceux qui les abordent dans la fidélité aux enseignements des Sages d’Israël.

Sans cette protection — celle des enseignements des Sages — le risque de déviation est immense. Les lettres dévoilées sont porteuses d’énergies puissantes ; mal interprétées, elles peuvent conduire à des erreurs lourdes de conséquences, comme celles qu’un apprenti chimiste manipulant des composés instables sans en maîtriser les lois, pourrait engendrer. Les résultats peuvent être destructeurs (voir, entre autres, l’exemple donné dans l’onglet « Explorations : exemple de piège : 376 »).

Les lettres de la Torah sont comme des braises. Si l’on souffle juste, elles allument la lumière et réchauffent. Si l’on souffle de travers, si notre souffle « dévie », elles peuvent déclencher un incendie.

La position qu’occupe une lettre dans un mot est primordiale

Si telle lettre se trouve à telle place dans tel mot, c’est tout sauf anodin ! Une lettre hébraïque est un univers en soi, véritablement et concrètement. On pourrait également la comparer à une particule élémentaire. Chaque parole prononcée devient alors une « formule chimique » bourée d’énergie : elle assemble, module, propage des forces invisibles, insoupçonnées, parfois créatrices, parfois destructrices ח’ו. La position d’une lettre dans un mot devient ainsi essentielle, car elle modifie « l’état énergétique » du mot, selon le point précis où elle s’inscrit et agit dans cet « assemblage cellulaire » (voir un cas édifiant dans la rubrique « ISRAËL UN » , onglet « Prémices » ).

Les mots sont comme des molécules immobiles, porteurs d’énergies latentes. En apparence inertes, ils s’animent dès qu’ils sont lus ou prononcés : ils se mettent alors en mouvement, seuls ou accompagnés, et commencent à irradier de manière irréversible. Dès cette impulsion initiale, ils absorbent — instantanément et progressivement — des forces vives extérieures à eux, émanant des émetteurs comme du milieu ambiant. Toutes ces énergies ambiantes peuvent s’ignorer mais aussi se renforcer ou se neutraliser, et agir en conséquence dans l’intériorité des auditeurs ou des lecteurs.

La capacité des mots à infiltrer les couches psychiques les plus profondes dépend de multiples facteurs : notamment les sensibilités et insensibilités des interlocuteurs, les circonstances de temps, de lieu, et l’atmosphère générale.

Les mots possèdent ce pouvoir puissant d’agir sur le futur tout en modifiant notre perception du passé. Leur présence dans l’instant est physique — mais leur portée est psychique et intemporelle.

Les Maîtres d’Israël — bien avant les psychologues et psychiatres — nous ont enseigné que les mots, la parole, ont un pouvoir de guérison. Guérir une pathologie, c’est intervenir dans le présent sur une blessure du passé, pour ouvrir une voie vers un avenir possible, voire meilleur. Les mots sont donc, au sens strict, primordiaux.

On saisit mieux, dès lors, l’importance vitale de re-conscientiser la puissance du langage, dans son essence et dans son intériorité. Car toute parole, même pensée, agit d’abord sur l’émetteur lui-même — avant même d’atteindre le récepteur. Il est vital d’intégrer cette réalité.

Dans Béréchit 2,20, le Texte nous apprend que Hachem a laissé Adam nommer les animaux. Ce verset souligne l’essentialité absolue de nommer avec justesse. Et nommer justement les choses commence dans/avec la « tête ». C’est certainement, entre autres, dans cet esprit que l’on peut interpréter ce que le roi David (ע״ה) écrit dans les Tehilim (Psaumes), 119,160 :

« ראש דברך אמת » (Roch devarékha emet) — La tête de Ta parole est vérité.

En effet, en hébreu, les initiales sont appelées « rachei teivot » (ראשי תיבות), littéralement : têtes des mots. Cette appellation, à elle seule, nous enseigne que l’impulsion première d’un mot – sa lettre initiale – n’est jamais anodine. À l’image de la tête humaine, elle oriente, « perçoit, réfléchit, décide ». Gardons à l’esprit la courte introduction sur les lettres qui est présentée dans la rubrique « Les Lettres, les Taguim et les Voyelles ».

C’est pourquoi il est d’autant plus bouleversant de découvrir que les initiales des mots associés à la toute première parole d’Adam — mentionnée dans le verset Béréchit 2,20 (même si son contenu explicite ne nous est pas rapporté) — révèlent un fait magnifique : leur valeur numérique est 376.

Or, 376, c’est précisément la guématria du mot שלום – Chalom, qui signifie paixperfectioncomplétude. Quel enseignement… quel trésor ! Comme un murmure venu du commencement même de l’humanité, de la toute première parole attribuée à un Homme, cette valeur vient nous souffler que la paix véritable ne peut naître que de la justesse du Verbe, de la précision des mots, et de la fidélité à leur essence.

Si seulement tous les hommes, nous tous, nous pouvions intégrer, et vivre au plus profond de notre être, cette vérité fondamentale inscrite dans la Torah – ADN du monde – de manière codée mais limpide, silencieuse mais éclatante et discrète mais absolue…

Combien Albert Camus s’inscrivait dans cet enseignement fondamental, apparemment sans en percevoir consciemment l’origine ni la profondeur Torahique, lorsqu’il écrivait : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ».

שלום ם ו ל ש
376 = 40 6 30 300

« ויקרא האדם שמות לכל הבהמה ולעוף השמים ולכל חית השדה » « Il appela le Adam (l’homme) les noms de tout le bétail, et l’oiseau des cieux et toutes vivantes (et tout animal) du champ ».

Ce résultat est donc un puissant révélateur : bien nommer les choses mène à la paix, à la complétude. Et ça commence par la « tête », par les initiales. Une grande rigueur est requise, car si l’erreur survient dès la première lettre, dès la première brique du mot, du concept, alors la paix s’éloigne, elle nous échappe.

ה ח ו ה ו ה ל ש ה ו
5 8 6 5 6 5 30 300 5 6

Les Sages nous enseignent que les noms révèlent l’essence des choses et que nommer, c’est activer, ordonner, rendre vivant, à l’image d’Adam qui, en appelant (ויקרא) les créatures, les « active ».

Par conséquent, mal nommer désoriente, égare, déstructure, détruit — jusqu’à conduire inévitablement à la guerre, sous toutes ses formes. Les choses se trouvent alors comme « renversées » — dans tous les sens du terme. Si l’on renverse numériquement la valeur du mot Chalom (שלום), soit 376, on obtient 673. Or, 673 est précisément le 123ᵉ nombre premier. Et comme nous l’avons vu au début de cette rubrique, 123 est la valeur numérique du mot « מלחמה / Mil’hamah », guerre. (Au sujet des nombres premiers, voir dans la Rubrique « Tableau », le dernier, quelques notes explicatives indispensables).

Le Zohar nous enseigne aussi qu’il est des hommes dont la parole ne porte pas.

C’est pourquoi il faut préciser une évidence : lorsque j’emploie l’image « d’intrication des alphabets » , je parle en vérité de potentiel, et non d’un effet acquis à l’homme. Nos Maîtres, et le Zohar en particulier, nous rappellent :

« Une parole — une prière — sans direction (sans כוונה kavanah) est comme un corps sans âme. »

Les lettres de la Torah, ses mots, ses versets possèdent effectivement une réalité qui nous dépasse. Pourtant, la plupart d’entre nous ne touche qu’à leur dimension visible. Sans sincérité, sans intention et direction justes, sans kavanot adéquates, nous restons à la surface. Nous lisons, mais nous « n’atteignons » pas la profondeur que les lettres contiennent.

Toutefois et sans transition ni nuances, une chose reste certaine : peu importe les langues, tout massacre commence par une idéologie, tout massacre commence par des mots. Car les mots ne sont jamais neutres. Ils pénètrent les couches psychiques de l’homme, l’influencent selon les circonstances, qu’il le veuille ou non, qu’il en soit conscient ou non. Ils peuvent l’élever à aimer et construire, ou l’entraîner à détruire et massacrer. Tout commence par une pensée, une idéologie, qui se dit, se répète, s’écrit, se partage, puis se propage et finit par enflammer les coeurs et les foules.

Pour exemple, combien de massacres ont été commis au nom de D.ieu ? Combien de textes ont été récupérés, tordus, falsifiés pour justifier la violence ? Rien n’a changé : la même mécanique est encore à l’œuvre aujourd’hui.

Alors, qui osera prétendre que les mots de Torah — dont nous ne mesurons pas la puissance — peuvent être manipulés à la légère ?

L’alphabet « -1 » : remonter vers la Source

Dans notre monde tangible, l’alphabet classique — dans son ordre linéaire de א à ת — se déploie dans une structure claire, mesurée, accessible. Il est la forme par laquelle les lettres s’extériorisent, se rendent lisibles à l’intellect humain. Mais en Qabalah, il existe une méthode singulière qui propose de remonter le courant. Nous l’appellerons l’alphabet « -1 ».

Cette approche consiste à substituer à chaque lettre celle qui la précède immédiatement dans l’alphabet. Comme si l’on essayait de remonter à la racine de chaque forme.

Elle nous permet, en quelque sorte, d’interroger l’amont, ce qui lui donne son influx, sa direction.

Dans ce système :

  • ב (beit) devient א (alef)
  • ג (guimel) devient ב (beit)
  • ד (dalet) devient ג (guimel)
  • tandis que א (alef), la première lettre, ne recule pas : elle reste elle-même, car il n’y a rien avant l’unité.

Ce Alef, immobile et silencieux, incarne alors la Source immuable. Celle dont tout procède, mais que rien ne précède. Dans cette méthode de substitution, il est la seule lettre qui ne cède pas sa place, comme un repère absolu, témoin de l’origine.

Ainsi, l’alphabet « -1 » agit comme une remontée intérieure. Il ne déconstruit pas le mot, il le déplie vers sa cause première. Il ouvre une voie dans l’épaisseur des lettres pour en contempler l’élan initial.

Un exemple : Berechit et la Torah avant la Création (selon l’enseignement du Rav David Menache ז״ל)

Les Sages d’Israël nous enseignent que la Torah existait 2 000 ans avant la Création du monde (ZOHAR, Chela’h Lekha ; Midrach Raba Berechit 8,2), et que c’est avec Elle qu’Hachem a créé les Mondes. Elle est le plan, la sagesse première, l’outil fondamental de toute existence.

Prenons la valeur numérique simple du mot Torah / תורה, soit :

תורה → ה (5) + ר (200) + ו (6) + ת (400) = 611

Tournons-nous maintenant vers le tout premier mot de la Torah : בראשית / Berechit, dont la guématria simple est :

בראשית → ת (400) + י (10) + ש (300) + א (1) + ר (200) + ב (2) = 913

À présent, appliquons l’alphabet « -1 » aux lettres du mot Berechit :

Alphabet classique בראשית ת י ש א ר ב
Alphabet « -1 » אקארט’ש ש ט ר א ק א
Guématria « -1 » 611 = 300 9 200 1 100 1

La somme : 611 !

Autrement dit, sous la surface du mot בראשית, dans sa permutation « -1 », se cache une énergie équivalente à celle du mot Torah.

Ce 611 dissimulé confirme ce secret : la Torah précède la Création. Elle est enfouie dans la trame même du premier mot, non pas de manière littérale, mais sous forme de potentiel, d’énergie. Même si les lettres ainsi obtenues ne composent pas un mot lisible, la guématria parle d’elle-même.

Il y a là une allusion puissante : avant les mots, avant la matière, avant le temps, une énergie précède tout, celle de la Torah.

Nous sommes ici en amont du visible, dans l’espace de l’intention première. Le premier mot de la Torah, Berechit, contient en son code caché l’empreinte numérique de la Torah, comme pour indiquer que toute la suite — tout le monde, tout le récit — émerge d’Elle.

Comme le dit le Zohar (Terouma 161b) :

« קדשא בריך הוא אסתכל באורייתא וברא עלמא »
Le Saint Bénit soit-Il (Hachem) regarda dans la Torah, et créa le monde.

Une responsabilité unique : Israël

Hachem, dans Sa Bonté infinie, a confié Sa Torah à Israël. C’est sur Israël — et sur aucun autre peuple — que repose la mission d’enseigner la Torah au monde, de la dévoiler avec prudence et fidélité, force et vérité. Cette responsabilité est immense et délicate.